Différents rapports alertent sur la dégradation de la santé psychique, en particulier chez les jeunes (CSA, IFOP, Malakoff Humanis) ! L’IFOP enregistre par exemple que 35% des jeunes hommes de moins de 35 ans ont déjà sérieusement pensé au suicide (accès rapport complet ici).
Victor Mottin, rédacteur pour le magazine Usbek & Rica, que je lis régulièrement, explique, en citant le médecin-psychiatre Michel Debout, que les récentes crises (COVID-19, guerre en Ukraine, dérèglement climatique) sont les nuages noirs qui assombrissent l’horizon de la jeunesse et avec lui son bien-être (article à lire ici).
Des crises, il y en a pourtant toujours eu. Guerres civiles, guerres mondiales, génocides, oppressions, restrictions, révolutions, etc. Ce désespoir et cette résignation ne viennent-ils pas d’un mal plus profond ?
Le XXIe siècle se caractérise par l’essor de la mondialisation et de la consommation qui promet l’accès à tout, n’importe où et par n’importe qui.
Le COVID et la guerre ne sont-ils pas justement de simples révélateurs de la fragilité de ces promesses et de l’incapacité de nos sociétés à nous assurer le bonheur que nous recherchons tous ?
Le COVID, par exemple, a questionné en profondeur nos existences et leurs valeurs, et le constat en a secoué plus d’un. En effet, nombreux sont ceux qui ont souhaité se réorienter professionnellement pour faire quelque chose qui avait plus de sens ou qui leur plaisait vraiment, remarquant la fragilité de la vie, sa brièveté.
Le désenchantement
Max Weber, économiste et sociologue allemand, né à la fin du XIXe siècle, décrit dans son livre, “L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme”, que la rationalisation qui caractérise de plus en plus nos sociétés occidentales entraîne le désenchantement de ces dernières, vidant l’existence humaine de sens.
Pour illustrer le concept de Weber, prenons un exemple industriel. Dans les années d’après-guerre, l’industrie bat son plein, la demande de produits manufacturiers explose. Pour y répondre, un enjeu de taille se dresse devant les industriels : la productivité. La naissance du taylorisme a permis d’augmenter considérablement cette productivité, en simplifiant les tâches de chaque opérateur et en optimisant les postes de travail pour supprimer les pertes de temps, synonymes de pertes d’argent. L’opérateur est plus productif mais également plus désenchanté, plus malheureux. Il est moins conscient de l’utilité de son travail car il ne fabrique plus le produit, il réalise des tâches.
Max Weber, en ce qui concerne l’Occident, théorise que le recul de la religion chrétienne, transmetteur d’espoir (Dieu a un plan pour chaque individu) et valorisant les individus (Dieu aime chaque individu) au travers du développement des sciences et de la sécularisation (deux expressions de rationalisme), entraînera la disparition du sens global de l’existence et donc verra naître des sociétés désenchantées, malheureuses.
Il est intéressant d’observer qu’un pays développé comme la France, qui voit son PIB (indicateur de richesse des pays) croître depuis plus de 70 ans (données INSEE), voit également la santé mentale de ses habitants se dégrader. Nous sommes de plus en plus riches et de plus en plus malheureux.
La recette
Le livre de l’Ecclésiaste ou Qohelet dans la Bible, présumément attribué à Salomon, roi à Jérusalem, ayant vécu au Xe siècle avant Jésus-Christ, fournit un ensemble d’analyses sur la vie, l’être humain et le bonheur. La lecture de ce texte est précieuse en ce qu’elle souligne, près de trois mille ans avant Max Weber, que la vie prend tout son sens quand Dieu en fait partie et que le bonheur y est directement rattaché.
Dans les premiers chapitres, il commence par expliquer que la connaissance, bien qu’utile pour comprendre le monde, implique aussi plus de déception et de chagrin : “avec beaucoup de sagesse, on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa connaissance augmente sa souffrance”. Salomon décrit alors sa quête terrestre du bonheur au travers de toutes sortes de plaisirs (vin, femmes, possessions, etc.) :
Extrait de la Bible
“J’ai imaginé, dans mon cœur, de livrer mon corps au vin tout en me conduisant avec sagesse et de m’attacher à la folie jusqu’à ce que je voie tout ce qu’il est bon pour les humains de faire sous le ciel tout au long de leur vie. Je me suis lancé dans de grandes entreprises : je me suis construit des maisons, je me suis planté des vignes, je me suis fait des jardins et des vergers et j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers. Je me suis fait des réservoirs pour arroser des pépinières. J’ai acheté des serviteurs et des servantes; j’en ai eu d’autres, nés chez moi. J’ai aussi possédé des troupeaux de bœufs et de brebis, plus que n’importe qui avant moi à Jérusalem. J’ai même amassé de l’argent et de l’or, les richesses des rois et des provinces. Je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses et ce qui fait le plaisir des hommes : des concubines en quantité. Je suis devenu grand, plus grand que n’importe qui avant moi à Jérusalem, sans rien perdre de ma sagesse; Je n’ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu’ils réclamaient, je n’ai privé mon cœur d’aucune joie. En effet, mon cœur était réjoui par tout mon travail, et c’est toute la part que j’en ai retiré. Puis j’ai réfléchi à tout ce que mes mains avaient entrepris, à la peine que j’avais eue pour le faire, et j’ai constaté que tout n’est que fumée et revient à poursuivre le vent.”
Il déclare, en s’appuyant sur l’ensemble de ses observations, que « tout n’est que fumée ».
On trouve également, tout au long de ses écrits, l’importance de Dieu dans la traversée des épisodes de la vie et la capacité qu’il donne d’en apprécier le contenu :
Extrait de la Bible
« J’ai vu quelle occupation Dieu réserve aux humains. Il fait toute chose belle au moment voulu. Il a même mis dans leur cœur la pensée de l’éternité, même si l’homme ne peut pas comprendre l’œuvre que Dieu accomplit du début à la fin. J’ai reconnu que leur seul bonheur consiste à se réjouir et à bien agir pendant leur vie, et que, si un homme mange, boit et prend du plaisir dans tout son travail, c’est un cadeau de Dieu. J’ai reconnu que tout ce que Dieu fait durera toujours, sans qu’on puisse ajouter ou enlever quoi que ce soit, et que Dieu agit de cette manière afin qu’on éprouve de la crainte devant lui. Ce qui existe a déjà existé, tout comme ce qui existera, et Dieu ramène ce qui est passé. »
Quelle conclusion pouvons-nous tirer de l’expérience de Salomon ?
Le premier élément qui me semble intéressant, c’est l’un des effets qu’a la connaissance. Salomon ne critique pas la connaissance, bien au contraire : “J’ai vu que la sagesse a sur la folie le même avantage que la lumière sur l’obscurité : le sage a ses yeux bien en place, tandis que l’homme stupide marche dans l’obscurité.” mais il souligne que plus on analyse, plus on est conduit au chagrin, à la souffrance, au désenchantement.
Son expérience des plaisirs est également un élément instructif pour l’Homme du XXIe siècle. Elle souligne, là encore, bien avant Weber, que le bonheur ne se trouve pas dans les possessions, les ressources et les plaisirs puisque « tout n’est que fumée » mais plutôt dans le sens de l’existence.
Nos ressources, nos expériences, nos possessions, notre sagesse, notre connaissance ne peuvent pas nous apporter le bonheur.
Les mots de Salomon : “Boire, manger et prendre du plaisir dans son travail”, nous invitent également au contentement et à la simplicité. Ces 3 éléments ne sont, certes, pas à la portée de toute l’humanité mais, lorsqu’ils le sont, devraient nous inviter à la reconnaissance.
Pour terminer, Salomon aurait sans aucun doute été d’accord avec l’analyse du sociologue allemand sur l’importance de la transcendance pour l’être humain en ce qu’elle est génératrice de sens. Il conclut d’ailleurs son ouvrage par la déclaration suivante :
Extrait de la Bible
“Écoutons la conclusion de tout ce discours : « Crains Dieu et respecte ses commandements, car c’est ce que doit faire tout homme.”